Voyage en paradis Ryukyu : à la découverte du patrimoine immatériel Uchinanchu à Okinawa

Héritage des populations de Ryukyu :

Le Japon compte deux populations dites autochtones, les Aïnu au Nord près d’Hokkaido, et les Ryukyu, population des îles éponymes au sud de l’archipel. Nous nous intéresserons à cette dernière afin de mettre en lumière l’authenticité de leurs traditions. Considéré comme le “Hawaï japonais” en raison de son climat tropical et de son fort tourisme, les îles telles qu’Okinawa conservent de nombreux savoir-faire et une culture particulière issus des traditions de l’ancien royaume Ryukyu. 

Danse traditionnelle Eisâ des jeunes gens, Musée du quai Branly-Jacques Chirac
Fête du 15 août du calendrier lunaire, musée du quai Branly-Jacques Chirac

Chapelet d’îles séparant la mer de Chine de l’Océan Pacifique, le Ryukyu réunit les archipels du sud de la préfecture de Kagoshima – Osumi, Tokara, Amami – l’archipel d’Okinawa et celle de Sakashima. Bien que chacune d’elles possède son propre dialecte, une forte unité culturelle, distincte de celles de l’empire du Japon, relie les trois archipels qui composaient le Royaume de Ryukyu (1429 – 1879) : Sakashima, Okinawa et Amami. 

Restée indépendante durant quatre siècles, la population Ryukyu développe un patrimoine immatériel riche et reconnu par ses royaumes et empires voisins : certaines de leurs étoffes étaient envoyées en tribu à l’empire de Chine sous la dynastie Ming (1368-1644) par exemple. Le savoir-faire, les techniques et les croyances, de véritables ponts entre cultures voisines, ont permis l’enrichissement mutuel des puissances d’Extrême Orient. Ces échanges s’interrompirent à la suite de l’annexion du Royaume Ryukyu en 1879 par le Japon. 

Par politique de lissage culturel de l’Empire du Japon, puis par la cession des îles d’Okinawa aux Etats-Unis après la Seconde guerre mondiale, les traditions et arts populaires des Ryukyu se sont peu à peu effacés. Seules ont persisté les pratiques appréciées par l’élite japonaise, aujourd’hui considérées comme Trésor National, comme le Bingata – technique d’impression sur étoffe pour kimono. La culture Ryukyu est basée sur un système fondamentalement matriarcal où les femmes sont considérées comme les gardiennes du foyer, de la religion et de l’héritage culturel, surtout textile. Elles filent, tissent les étoffes qui accompagnent chaque moment de la vie des membres de la communauté, tissent et renforcent les liens sociaux. 

Suivez-nous tout au long de ce triptyque sur les piliers de la culture Ryukyu : l’art de la couleur, les femmes et les fils qui passent entre leurs mains.

Le bingata : un joyau culturel japonais  

Le bingata est une des techniques pour laquelle le sud de Ryukyu, plus particulièrement Okinawa, la plus connue. Cette technique de décor textile réalisé à la main, à l’aide de pochoirs en papier enduit de pâte de riz et pinceaux demande minutie et de longues heures de travail : on peut parler d’une semaine pour le décor d’obi de kimono! Le Bingata put atteindre ce niveau de perfection grâce au travail assidu des artisans et le contact avec les empires voisins.

Au Musée historique de la ville de Naha, un magnifique Kimono bingata en crêpe de soie doublée repose dans les collections. Il est paré de phénix et de pivoines, alliant rouge et jaune, couleurs autrefois réservées à la royauté de Shiri (Royaume Ryukyu).  Ce vêtement a été conçu pour les rites de passage entre enfance et âge adulte. Le jaune vif est à base d’orpiment, un minéral toxique contenant du sulfure et utilisé comme colorant. Le bingata permet de réaliser des décors riches, aux couleurs flamboyantes. Prisée par les royaumes voisins des Ryukyu, des textiles bingata furent utilisés en tributs, avant d’être instaurés en tant que technique de teinture pour la royauté au XVIIIème siècle. Cette technique devint « Important Intangible Cultural Asset of Japan » en 1996. 

Aujourd’hui, peu d’ateliers existent encore, ce qui rend la technique plus rare qu’elle ne l’était. Seuls de véritables passionnés continuent à produire d’exquis bingata sur soie entièrement décorés à la main, tels que Atsushi Ishizuka de l’île d’Izu. D’autres familles ont fait le choix de se réunir afin de créer des maisons de production de plus grande importance : il faut saluer le travail de Chinen Bingata de la ville de Naha qui, fondé en 1972, réunit trois familles spécialisées dans la technique depuis le Royaume de Ryukyu. 

La tradition du bashofu, les femmes et la transmission de l’héritage culturel Uchinanchu

La population Ryukyu, plus principalement la communauté ethnique Uchinanchu (Okinawa), a été rendue fameuse pour sa production d’un tissu en fibres de bananier appeler bashofu. La production de ce textile, entièrement réalisée à la main, nécessite vingt-trois étapes donnant un tissu fin et léger, parfaitement adapté au climat de l’île. 

« C’est presque comme si Okinawa avait été créé pour la fabrication du bashofu. Dans le village de Kijoka chaque grand-mère, épouse, et fille est experte dans ce travail [le tissage de bashōfu. Tout le monde sait filer, nouer, teindre et tisser.[…] Chaque maison émet le son des métiers à tisser. »   

Yanagi Sōetsu (traduction d’Hélène Trébuchet)

Le bashofu, élu Propriété Culturelle Intangible depuis 1950, était à l’origine un tissu utilisé pour les vêtements – ushinchi et pour les furoshiki, tissu d’emballage par la cour royale Shuri puis par les guerriers . L’usage du textile se répandit bien plus tard aux classes populaires. Ce tissu léger et souple porté en kimono courts est décoré de motifs divers réalisés directement pendant le tissage : certains spécialistes identifient dans ces motifs la représentation d’éléments de faune et de flore familières des habitants de Ryukyu, aussi bien que des motifs géométriques.

A des fins rituelles, le bashofu était utilisé pour sceller l’âme ou l’esprit au corps d’une personne défunte ou malade. Il pouvait aussi être utilisé comme une amulette, une protection à donner à un voyageur dans l’espoir de son retour sain et sauf. Associé à ce tissu portant une charge sacrée, les motifs géométriques permettraient d’amplifier le caractère apotropaïque, c’est-à-dire protecteur, du bashofu. 

Le tissage du bashofu est une affaire de femmes : chaque foyer possédait un métier à tisser dans le but de pouvoir vêtir le ménage. Elles s’occupaient de tout le processus de fabrication, du filage au tissage en passant par la teinture des fils. Ainsi pouvaient-elles insuffler au textile un pouvoir spirituel et protecteur pour le destinataire du produit fini : les jeunes femmes tissent de véritables déclarations d’amour.  

Le motif minsa, pouvant être traduit par « forever love » ou « forever yours”, par exemple était tissé pour les furoshiki du bien-aimé afin de le protéger en toute occasion.  

Parmi ces motifs, nous retrouvons aussi des éléments géométriques similaires aux tatouages des mains des tisseuses. Cette tradition du tatouage, le hajichi, s’est perdue à la suite de son interdiction en 1879, lors de l’annexion de l’archipel par le Japon. Sa pratique est d’ailleurs similaire à celle de groupes ethniques taïwanais. Principalement utilisé à Okinawa, le hajichi était porté par les femmes de toutes les couches de la société : les femmes de l’aristocratie portaient des tatouages très ornés, entremêlés, pouvant remonter jusqu’aux avant-bras, alors que les femmes de la classe populaire portaient des formes plus géométriques.  

A la fois symbole de protection et d’appartenance sociale, le hajichi embellissait les mains de femmes, les rendait plus séduisantes. “Les hommes convoitaient les femmes au hajichi, pensant qu’avec de si belles mains, elles devaient être d’excellentes cuisinières.” Yoshimi Yamamoto spécialiste de l’histoire du tatouage au Japon et Taiwan (traduction par Brenda Seck). Avec l’interdiction par l’empire japonais, le tatouage fut décrié, perdant toute considération esthétique. Les femmes portant le hajichi furent mises au ban de la société, faisant peu à peu disparaître sa tradition.  

Retour aux sources des enfants de Ryukyu :

Aujourd’hui, la revendication de la culture Ryukyu se fait plus forte chez les jeunes générations : les jeunes femmes redécouvrent le hajichi, le bashofu est remployé et ennobli, le bingata célébré.  Les techniques sont remployées et élevées au rang d’œuvre d’art à part entière. Les enfants de descendance Ryukyu se réunissent afin de faire revivre leur patrimoine immatériel.  

Le jeune artiste américain d’origine Uchinanchu (Okinawa) Dane Nakama, à travers ses œuvres d’art, tente de retisser les liens avec sa culture d’origine en représentant le motif minsa dans sa peinture Forever Yours réalisée cette année.  

« Cette œuvre d’art est conçue comme une lettre d’amour à mon héritage culturel, souhaitant qu’elle puisse revenir à moi saine et sauve. »  

Dane Nakama (traduit de l’anglais par Brenda Seck)

Sources Principales et pour aller plus loin :

TRÉBUCHET Hélène, Le bashōfu et la tradition Mingei

TRÉBUCHET Hélène, « Bashōfu : le textile qui a la banane » in TOKONOMA MAGAZINE

YAGASHITA Yuta, « Vie et mort du Royaume de Ryukyu (1429-1879) » in ASIALYST

« Okinawa, les text-îles » in NIPONIKA

« Exhibition traces history of Okinawa tattoo tradition that became a mark of shame » in OKINAWATIME

Exposition virtuelle du Kyoto Women University à découvrir ici